dimanche 14 octobre 2007

Politesse et bonnes manières

Les voyages dans des pays lointains, c’est rigolo pour bien des aspects. Une des choses les plus intéressantes dans le choc des cultures, ce sont les décalages créés par des petites règles de politesse élémentaire, des petits usages qui paraissent évidents aux Japonais mais pas forcément à nous. Aaaah, la sensation d’avoir tous les regards portés sur soi sans savoir ce qu’on a bien pu faire de mal…

Pour une fois je ne vais donc pas raconter ma vie (enfin, pas trop), mais plutôt passer en revue quelques règles de comportement, histoire de montrer que ce n’est vraiment pas évident de se fondre dans la masse. Je vais en particulier évoquer les usages à table, parce que manger est une des premières activités à laquelle on est confronté en arrivant au Japon, et c’est quelque chose qu’on fait au moins deux fois par jour, alors on peut comprendre que cela me préoccupe. La première fois qu’on va au RU, on est un peu perdu : entre les baguettes, la multitude de plats devant soi (dans quel ordre je dois les manger ?)…

Tabe aruki

Pour commencer, un des trucs qui m’énervent le plus. Il est très mal vu de manger en marchant dans la rue. Et oui. Le Japon fourmille de petites boutiques de restauration rapide, de marchands de bentô, de Mister Donuts, de MacDo où l’on peut prendre des plats à emporter… Mais tout ça, c’est pour manger chez soi, ou sur le lieu de travail. Si vous le mangez dans la rue, vous aurez droit à quelques regards choqués par tant d’indécence. Cette pratique immonde s’appelle « tabe aruki » (de taberu, manger, et aruku, marcher).

Bon en pratique, il est toujours possible d’aller manger dans un endroit discret, un peu à l’écart des foules, mais il faut être prudent : dans certains lieux publics, le tabe aruki est interdit.

Certes, ça permet de garder une certains propreté dans les rues, mais comme le dit si bien Harl : « ils n’ont pas pigé le concept du sandwich ». En effet, il me paraît évident que si le sandwich a été inventé, c’est pour répondre à ce besoin irrépressible de l’Homme, celui de pouvoir manger en marchant. Mais pour les Japonais, bah apparemment non… Bon, je veux bien respecter certains des usages des pays que je visite, mais là pour le coup je préfère encore affronter les regards outrés et les soupirs style « pfff, ces gaijin… » plutôt que de devoir me planquer pour manger mon sandwich, non mais sans blague.

Les Grands Tabous des Baguettes

Vous n’êtes pas sans savoir qu’au Japon, on mange avec des baguettes. Alors de même qu’on tient le couteau dans sa main droite et la fourchette dans la main gauche, il y a quelques usages à respecter avec les baguettes. Et des trucs à ne surtout pas faire, sinon c’est seppuku direct. En plus, c’est rigolo, les Japonais donné un nom à chacune de ces infractions. Mesdames Messieurs, voici en exclusivité les Grands Tabous des Baguettes.

- Hiroibashi (les baguettes qui ramassent) : on ne se passe jamais la nourriture entre convives de baguettes à baguettes. Si vous voulez passer de la nourriture à votre voisin, vous la posez dans son assiette. La raison principale à cela est que le Hiroibashi rappelle un rite funéraire, donc c’est une sorte de mauvais présage de faire ça…

- Kawaribashi (les baguettes qui changent) : une fois qu’on a saisi de la nourriture avec ses baguettes, il est interdit de la reposer. C’est sale. Il ne vous reste plus qu’à manger ce que vous avez ramassé, même si c’est du tentacule de poulpe (mais le tentacule du poulpe c’est bon, je vous l’ai déjà dit).

- Mayoibashi (les baguettes qui hésitent) : on ne fait pas tourner ses baguettes en hésitant au dessus d’un plat. En France, quand on vous ouvre une boîte de chocolats, vous tergiversez en général pendant des heures « oh la la la, mais ça m’a l’air bon tout ça… Alors lequel je vais prendre ?... » Au Japon, faire ça revient à faire preuve d’égoïsme : c’est comme si vous vous réserviez le meilleur morceau. Il faut faire semblant de ne pas choisir. La solution consiste à observer le plat de loin, à choisir mentalement le morceau qu’on va prendre, et là, avec la vitesse et la précision d’un martin-pêcheur, tac ! vous vous saisissez du morceau convoité. C’est tout aussi égoïste, mais les apparences sont sauves et les Japonais sont contents (ils font tous pareil).

- Neburibashi (les baguettes qui lèchent) : on ne lèche pas ses baguettes. Même si elles dégoulinent de sauce délicieuse. D’ailleurs, parmi les trucs qui me manquent le plus de la France, le pain viendrait certainement en tête. Parce que quand on a fini un plat particulièrement bon, en général il reste encore plein de sauce au fond de l’assiette. Et qu’est-ce qu’on en fait ? Ben on jette. On ne peut pas lécher les baguettes, on ne peut pas saucer… Nom de nom, quel gâchis.

- Saguribashi (les baguettes qui cherchent) : ça rejoint un peu le Mayoibashi. Quand on se sert dans un plat commun, on ne va pas farfouiller au fond du plat comme si on cherchait un morceau particulier, on prend ce qui vient en premier.

- Sashibashi (les baguettes qui pointent) : on ne plante pas ses baguettes dans la nourriture pour s’en saisir, les baguettes ce n’est pas une fourchette.

- Hotokebashi (les baguettes de Bouddha) : on ne plante pas ses baguettes dans le riz. Ça c’est bad, bad, bad. Ça mérite la peine de mort. En fait, c’est encore un rituel funéraire, on plante des baguettes dans le riz qu’on donne comme offrande à un mort.

- Nigiribashi (les baguettes dans le poing) : on ne tient pas ses baguettes dans son poing, ça fait menaçant.

- Tatakibashi (les baguettes qui tapent) : on ne tape pas avec ses baguettes sur le bord d’un plat pour demander l’attention, comme on le ferait en France avant un petit discours ou speech de table. De manière générale, on ne joue pas avec les baguettes et on ne s’en sert pas comme instrument de percussion. C’est fait pour manger et rien d’autre.

- Watashibashi (les baguettes qui font le pont) : quand on a fini avec les baguettes, on ne les range pas en les faisant reposer sur le bol comme si elles formaient un « pont ». On les pose sur la table, parallèlement aux épaules.

- Mochibashi (les baguettes qu’on tient) : il ne faut pas garder ses baguettes à la main quand on boit (un bol de soupe, un verre d’eau…)

- Kurosubashi (les baguettes qui se croisent) : les baguettes ne doivent pas se croiser (cf le dessin joint).

Voilà, ça fait déjà une bonne liste… Et il y en a encore plein d’autres !

Je vous rassure, parmi tous ces tabous, il y en a plein que les Japonais transgressent allègrement. Je n’ai fait que retranscrire les règles officielles, mais à titre de comparaison, c’est comme si un Japonais, sur son blog, vous présentait les bonnes manières françaises en se basant sur le livre de Mme de Rothschild. Ce ne sont pas des choses qu’on respecte au quotidien.

Donc le mieux, c’est de faire preuve d’un peu d’observation et d’imiter tant bien que mal les autres Japonais. En fait, les règles importantes ne sont pas forcément celles qu’on croit. J’ai très souvent vu des baguettes faire le pont, ou être tenues à la main pendant qu’on boit la soupe miso. De même, certains aliments peuvent sans problème être saisis par la méthode peu orthodoxe du « planter de baguettes ». Par contre planter ses baguettes dans le riz c’est vraiment mal. Ne le faites jamais !

En tant qu’étranger, les Japonais s’attendent de toute façon à ce qu’on transgresse quelques règles, dans notre ignorance. Et ça les amuse beaucoup, ça n’est en rien gênant, ils ne vont pas nous condamner à mort pour ça (sauf si vous plantez vos baguettes dans le riz, oui je sais j’insiste mais il le faut). Je dirais même qu’il serait impoli pour un étranger de trop respecter les règles de politesses. Il faut rester humble et modeste, ce serait comme donner des leçons de savoir-vivre aux Japonais. Imaginez qu’un Japonais que vous invitez à votre table, en France, s’offusque parce que son vin blanc a été versé dans le verre à vin rouge. Vous penseriez qu’il est un peu prétentieux, non ? Et bien pareil ici, un peu de bon sens et d’observation suffisent pour apprendre à manger correctement.

Règles diverses

Finissons par quelques règles qui ne concernent pas les baguettes, mais toujours sur les usages à table.

La formule pour commencer le repas est « Itadakimasu ». Ce n’est pas complètement l’équivalent de notre « bon appétit ». La traduction littérale est « je reçois humblement », donc ce n’est pas quelque chose qu’on souhaite aux autres convives, c’est plutôt un remerciement. On remercie ses hôtes, ou les dieux, pour le repas qu’on va prendre. Par exemple, on peut très bien dire « itadakimasu » même si on est seul à manger, alors qu’un « bon appétit » tout seul, c’est ridicule…

A la fin du repas, il est très poli de dire « Gochisô-sama deshita ». C’est pour à la fois pour dire que le repas était très bon et pour remercier celui qui l’a préparé. Cette formule est quasiment obligatoire si on est invité chez quelqu’un, mais parfaitement facultative au restaurant. D’ailleurs une petite parenthèse à ce propos : on dit que les Japonais sont des gens très polis, pour qui le respect à une grande importance etc. Ce qui est vrai, mais il faut nuancer, parce que la hiérarchie entre en compte. Au Japon, dans n’importe quel commerce, le client est roi. Littéralement. Le client est appelé « o-kyaku-sama » soit à peu de chose près « Sa Majesté le Client », les vendeurs parlent en langage honorifique ce qui fait que je ne comprends rien, etc. Donc les vendeurs/serveurs sont extrêmement polis, et en retour le client a le droit de les traiter comme des moins que rien. Ce dont il ne se prive pas. Au combini je n’entends jamais un bonjour, jamais un merci de la part des clients. Même chose au restaurant. La dernière fois qu’on a été manger au Matsuya, avec quelques Français, Antoine a balancé un très joli « Gochisô-sama » au moment de partir. Les serveuses ont été toutes surprises de tant d’attention à leur égard, et une salve de « arigatô gozaimashita » nous a accompagnés jusqu’à la sortie…

Pour les autres règles : on ne se frotte pas la figure avec la serviette chaude (oshibori), c’est uniquement pour les mains.

Il y a toujours un bol de riz blanc à table. Il faut éviter de verser de la sauce soja dessus, ou n’importe quelle autre sauce disponible. Le riz, ça se mange blanc. Le souiller serait une offense à celui qui l’a préparé. Bien des Japonais s’offusqueront grandement de vous voir arroser votre riz avec de la sauce. Cela dit, une fois en France, ces mêmes Japonais seraient capables de couper un grand crû avec de l’eau, alors ils me font bien rire avec leurs airs épouvantés…

On ne se sert jamais à boire soi-même, à moins d’être seul à table bien entendu. C’est toujours à vous de servir vos voisins de table, donc il faut toujours surveiller si les verres autour de vous sont vides ou pas. Ils feront de même pour vous. Il vous suffit de saisir la bouteille, ceux qui ont soif vous tendront leur verre. Normalement, on ne sert pas un verre vide simplement posé sur la table, ce serait comme forcer quelqu’un à boire. Vous allez me dire « ben, il peut toujours refuser », oui mais non parce qu’on est au Japon, et qu’un refus est forcément impoli… De même, si vous voulez éviter de finir une soirée fin saoul, il suffit de boire à petites gorgées et de toujours laisser un fond dans son verre. Personne ne vous servira si votre verre n’est pas vide.

Pour finir, contrairement à la France, il n’est pas mal vu de faire du bruit en aspirant ses pâtes ou en buvant sa soupe (et ça fait des grands sllrrrp, chantait Jacques Brel). Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est très poli, et il ne faut pas être excessif non plus, mais en tout cas ce n’est pas mal vu.

Voilà, je n’ai rien d’autre qui me vienne en tête pour le moment, concernant les usages à table. Si les autres double-diplômants passent par ici, ils pourront peut-être compléter…

Un jour, je ferai peut-être d’autres messages sur les bonnes manières, mais il faut que j’en apprenne un peu plus. Sur les salutations par exemple, il y aurait beaucoup à dire (il y a des filles, on meurt d’envie de leur faire la bise, mais non on ne peut pas…). En tout cas, ce genre de petites différences culturelles est vraiment un des trucs qui m’amusent le plus dans la vie au Japon, j’espère en découvrir beaucoup d’autres…

8 commentaires:

Maxou a dit…

Coucou,

C'est amusant parce que faire la bise aux filles c'est aussi toute une histoire en Allemagne... Qui l'eut cru ?

Et sinon les baguettes plantées... ce n'est vraiment que pour le riz ??? Dans le reste, on a le droit, alors.

El Desdichado a dit…

En même temps, pour les filles japonaises, je disais ça comme ça, je n'ai que rarement eu l'occasion d'en rencontrer. Mais une fois, j'ai vu un Français faire la bise à une Japonaise, ben elle était assez gênée quand même...
Mais moi ça ne me pose pas de problème, il n'y a pas de filles dans mon labo. Alors que Harl, lui, sur son blog, s'amuse bien à préciser que sa tutrice est une fille, que la tutrice de Julien est une fille, montre bien sur les photos qu'il y a au moins trois filles dans son labe, et précise en fin de post qu'il y en aura bientôt une nouvelle. Nan, je ne suis ni frustré ni jaloux, qu'allez-vous penser là ?

Pour te répondre Maxou. Dans le reste, on a théoriquement pas trop le droit de planter ses baguettes non plus. Mais c'est pas trop grave si on le fait. Alors que dans le riz c'est grave. Mais je l'ai déjà dit, je crois...

Maxou a dit…

Coucou,

Bon je ne suis toujours pas convaincu par le riz et les baguettes. Mais c'est pas grave, c'est surtout que je n'ai pas envie d'être convaincu, je pense.

Et pour les filles... Bah que dire... En fac d'info ici y en a pas des masses non plus. Tu aurais dû choisir des études autrement si tu avais voulu en croiser plus, et puis voilà.

Maxou a dit…

Comme mes commentaires sont vraiment très courts, j'en fait plus pour compenser. En voilà donc uns ans aucun intérêt, juste pour rallonger un peu, comme ça. Je brasse, quoi. Ce n'est pas pour rien qu'on nous apprend à faire ça en école d'ingé, c'est pour commenter les blogs des gens, c'est bien connu. J'ai validé mon TA de comm(entaires) sans aucun problème, d'ailleurs.

Maxou a dit…

Au fait je ne l'ai pas dit mais j'aime beaucoup ton message, là... Il est tout bien construit. Mais moi, je l'aurais coupé en deux, c'est un peu long, là, quand même.

Harl a dit…

Bah écoute, moi je n'ai qu'une chose à dire, c'est que j'aime bien ton blog, j'y apprends des trucs. Faudra que tu m'expliques un jour où tu trouves toutes ces infos. Parce que par exemple, je pensais qu'au contraire c'était poli de faire un pont sur un plat avec ses baguettes quand on avait fini.

Pis j'lèche mes baguettes aussi, mais bon, j'lèche les couteaux et paraît que c'est mal aussi alors...

Sinon, pour les filles, ouais on a des filles dans notre labo, mais en dehors de nos deux tutrices, les autres ne sont là que le vendredi. Et je confirme, oui, y'a des jours où tu te dis que faire la bise aux filles, on dirait pas mais ça manque. Pas que ça qui manque, d'ailleurs, mais bref.

Ah ouais, et euh toi tu parles 'achement mieux jap que moi, alors moi pour compenser Bouddha ou Dieu ou juste Anzaï il a mis des filles dans mon labo. Na. Et ça me donne envie de chanter d'ailleurs. "Keioooooooo Keioooooooooooooooooooooooooooooooooo"

El Desdichado a dit…

Mon cher Maxou, j'aime bien ce que tu fais. Je quitte mon blog deux minutes et je me retrouve avec 6 commentaires ! On devrait faire ça plus souvent, le coup des multi-commentaires.
Ah, et puis tu brasses mal, mais comme je te l'ai expliqué, c'est un compliment.

Couper mon message en deux ? Oui mais comme je fais rarement des mises à jour, je veux que les gens en aient pour leur argent. Qu'ils puissent étaler leur lecture en attendant la prochaine. Tu me diras "oui mais on peut pas commenter tant qu'on n'a pas tout lu". Ton honnêteté t'honorre, mais je ne t'en voudrais pas si tu fais comme tous les critiques littéraires : commenter sans avoir lu.

Harl, merci pour ton commentaire aussi ! Mes infos, je les trouve sur des sites Internet, des blogs, des forums... Pour le coup des baguettes qui font le pont, je suis sûr que la plupart des Japonais pensent que c'est poli aussi. Pour faire ce billet, j'ai également traîné sur des sites où ils expliquaient les bonnes manières françaises, ben j'ai appris des trucs. Par exemple, il paraît que saucer l'assiette avec son pain est impoli, du coup je suis malheureux moi.

Pour les filles bon ben... Dieu/Bouddha a intérêtet à vachement améliorer mon niveau en japonais s'il veut que je considère qu'on est quitte. Et vite.

N'oublie pas de mettre la main sur le coeur quand tu chantes. Keiooooo, Keiooooooo !!!!!

Anonyme a dit…

BON DEPART